09/03/2025
La question de la normalité du crime constitue l'un des débats sociologiques les plus prolifiques depuis les travaux fondateurs d'Émile Durkheim.
Ce texte essaye, en toute humilité, de vulgariser :
L'analyse révèle que le crime s'inscrit dans un paradoxe sociétal : manifestation de désordre apparent, il participe simultanément à la régulation des normes collectives (1,3).
Les développements contemporains, des crises sanitaires aux avancées technologiques, complexifient ce raisonnement tout en confirmant la pertinence des intuitions durkheimiennes (10,16).
La découverte récente d'un cours inédit de Durkheim dispensé à Bordeaux en 1892-1893 éclaire la genèse de sa pensée criminologique (1).
Le sociologue y pose déjà les jalons de sa théorie : le crime n'est pas une aberration pathologique, mais un « phénomène social normal » inhérent à toute société organisée.
Cette normalité s'explique par trois mécanismes interdépendants :
Ce trio conceptuel trouve sa pleine expression dans « Les Règles de la méthode sociologique » (1895) (20), où Durkheim insiste sur la distinction entre normalité statistique et
normalité fonctionnelle (8).
Le crime devient normal dès lors que son taux reste stable dans une société donnée, condition essentielle à l'équilibre social (1,3).
Les réinterprétations contemporaines soulignent le rôle central des émotions dans la théorie durkheimienne (9,12).
La colère collective face au crime génère un défoulement sociale tout en maintenant la vitalité des valeurs communes.
Fauconnet, dans son analyse de la responsabilité pénale, montre comment cette violence réactionnelle s'institutionnalise pour préserver le « sacré social » (12).
L'étude des solidarités mécanique et organique révèle une tension constitutive : si les sociétés traditionnelles punissent sévèrement les atteintes à la conscience collective, les sociétés
modernes tempèrent leurs réponses pénales par un souci croissant de l'individu (9,12).
Ce double mouvement explique les variations historiques dans la sévérité des peines, comme l'illustre l'évolution contemporaine vers la dépénalisation de certains délits (5,19).
La pandémie de COVID-19 a constitué un laboratoire pour tester les limites du paradigme durkheimien (10).
La chute brutale des taux de criminalité pendant les confinements, suivie d'une reprise différenciée selon les territoires, interroge la notion de normalité statistique.
Les données anglaises montrent une corrélation entre la précarité économique post-pandémique et la recrudescence des crimes acquisitifs, suggérant une reconfiguration des « seuils de
tolérance sociale » (10,16).
L'analyse des délits d'élite (blanchiment, corruption, concurrence déloyale) révèle une autre facette de la normalité criminelle (5,19).
Ces pratiques, souvent perçues comme structurelles dans le capitalisme contemporain, remplissent paradoxalement une fonction régulatrice des marchés tout en érodant la confiance institutionnelle
(19).
Le cas corse illustre cette ambiguïté : le crime organisé y maintient un ordre parallèle tout en compromettant le développement économique régional (14).
L'approche wébérienne du crime organisé éclaire les logiques patrimoniales à l'œuvre dans les économies criminelles (14).
Le modèle mafieux corse, caractérisé par la personnalisation du pouvoir et l'ancrage territorial, démontre comment les organisations illicites comblent les espaces vides institutionnels tout en
reproduisant des hiérarchies sociales traditionnelles (14).
La sociologie bourdieusienne du droit pénal révèle quant à elle comment la définition légale du crime consacre les intérêts des dominants (5,19).
La criminalisation différentielle des délits financiers et des crimes de rue illustre cette opposition normative, remettant en cause l'universalisme supposé des catégories juridiques (5,19).
L'analyse comparative des systèmes carcéraux scandinaves et anglo-saxons confirme le lien entre modèles de justice et taux de récidive.
En reclassant la consommation comme infraction administrative, l'État a réduit les dommages sociaux tout en maintenant un cadre normatif clair, validant l'approche fonctionnaliste (5,16).
Les programmes d'éducation populaire aux normes juridiques montrent leur efficacité dans la prévention de la délinquance juvénile.
En explicitant les fondements sociaux du droit, ils transforment l'obéissance passive en adhésion raisonnée aux règles collectives (5,9).
L'enseignement auto-réflexif des théories criminologiques aux professionnels de sécurité (policiers, justice) permet de dépasser les représentations manichéennes. Cette formation continue
favorise une application plus nuancée du droit, consciente des enjeux de labellisation sociale (12,18).
Si le crime demeure un phénomène normal au sens sociologique, ses manifestations contemporaines (cybercriminalité, délits écologiques, trafics transnationaux) appellent un renouvellement des
cadres d'analyse.
La synthèse émergente entre approches qualitatives et modélisations prédictives ouvre la voie à une criminologie à la fois explicative et opérationnelle (7,16).
L'enjeu ultime réside dans la capacité des sociétés à maintenir un équilibre dynamique entre tolérance nécessaire et fermeté protectrice.
Comme le montre la gestion des crises récentes, cet équilibre exige une vigilance constante face aux instrumentalisations politiques de la peur criminelle (10,14).
La normalité du crime, loin de justifier le fatalisme, doit inspirer des politiques publiques à la fois réalistes et ambitieuses, ancrées dans une compréhension fine des mécanismes sociaux.
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Sources :
(1) https://shs.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2024-2-page-313?tab=texte-integral
(2) https://classiques.uqam.ca/classiques/Durkheim_emile/crime_phenomene_normal/crime_phenomene_normal_texte.html
(3) https://www.semanticscholar.org/paper/O-CRIME-DE-DURKHEIM-Corr%C3%AAa/e5787c37def14a6607b805ae84d54d24f6335d8d
(4) https://shs.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2023-2-page-e5?lang=fr
(5) https://shs.cairn.info/sociologie-de-la-delinquance--9782200621155?lang=fr
(6) https://hal.science/hal-01213997/document
(7) https://livrecritique.com/les-regles-de-la-methode-sociologique-resume-complet-par-emile-durkheim/
(8) https://www.semanticscholar.org/paper/The-Reinterpretation-of-Emotional-Factors-in-Theory-Choi-Kwan/ccccb8b0ccddf44a951f67ab46375401210eee7b
(9) https://accesson.kr/kjfp/assets/pdf/13346/journal-6-3-149.pdf
(10) https://www.researchgate.net/publication/347130069_Poverty_and_Crime_COVID_and_the_'New_Normal'
(11) https://shs.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2024-2-page-301?lang=fr
(12) https://www.semanticscholar.org/paper/Crime-as-Normal-Behavior-Durkheim/b1c3dcec7ce8596b883e326047e0f0ac2e66be01
(13) https://shs.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre-2024-2-page-31?lang=fr
(15) https://www.semanticscholar.org/paper/Durkheim-and-Quinney-on-the-inevitability-of-crime%3A-Hubert-Wright/9e971cb915c3b0bc92b7d9f31dfc9b7547f5e254
(16) https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1745-9125.12170
(17) https://revisesociology.com/2016/04/03/functionalist-explanations-of-deviance/
(19) https://www.researchgate.net/publication/380579357_The_objective_side_of_the_crime_of_unfair_competition_theoretical_and_practical_aspects
(20) https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_R%C3%A8gles_de_la_m%C3%A9thode_sociologique