24/03/2025

Qu'est-ce que l'on sait sur les attaques au couteau en France ?

Qu'est-ce que l'on sait sur les attaques au couteau en France ?

La question sur que l’on sait réellement des attaques au couteau en France suscite de plus en plus d'interrogations dans le débat public.

Pourtant, malgré l'importance de ce sujet dans les discussions sur la sécurité, force est de constater que nous disposons de peu d'informations systématiques et fiables pour appréhender ce phénomène en défense personnelle.

Ce paradoxe entre l'omniprésence médiatique de ces événements et l'absence de données scientifiquement établies mérite d'être analysé en profondeur.

Cette brève se propose d'examiner les raisons pour lesquelles notre connaissance des attaques au couteau en France reste fragmentaire, en mettant en lumière trois facteurs principaux :

  • L'absence de statistiques officielles dédiées.
  • La surmédiatisation des faits divers.
  • Et l'absence apparente de volonté politique d'aborder frontalement cette problématique.

Des statistiques officielles quasi-inexistantes

L'un des premiers constats frappants lorsqu'on s'intéresse à ce sujet, c’est l'absence de statistiques officielles spécifiquement dédiées à ce type de violence.
 
En France, il n’existe pas de catégorie statistique dédiée aux « attaques au couteau » dans les rapports policiers.

Les données sur les violences physiques agrègent tous les types d’armes (armes à feu, couteaux, etc.), rendant impossible une analyse précise.

  • Le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) publie des chiffres sur les « violences avec arme », mais sans distinction entre un couteau de cuisine et une arme blanche de quelque nature qu’elle soit.
  • L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), supprimé en 2020, pointait déjà ce manque de transparence.

Pourquoi est-ce problématique ? Sans données fiables, il est impossible de savoir si cette criminalité augmente, stagne ou diminue.

Les discours, alarmistes ou rassurants reposent donc sur des interprétations partielles.

Un vide statistique révélateur

Contrairement à d'autres phénomènes sociaux qui font l'objet d'une documentation, de statistique rigoureuse, ces agressions ne semblent pas bénéficier d'une volonté suivi spécifique par les institutions françaises.

Cette situation rappelle d'autres domaines où la France a historiquement présenté des déficiences dans la collecte et l'analyse statistique.

Comme le montre l'exemple historique de la statistique des faillites au XIXe siècle, certaines statistiques peuvent décliner faute d'usage réel, notamment lorsqu'elles ne s'inscrivent pas dans un cadre cohérent incluant « des objectifs de gestion administrative, un projet politique et un projet intellectuel ».

L'absence de statistiques sur les attaques au couteau pourrait ainsi refléter l'absence d'un projet global de compréhension et de gestion de ce phénomène.

Une surmédiatisation des faits divers qui brouille les pistes

Les faits divers violents, notamment les attaques au couteau, occupent une place disproportionnée dans les médias :

  • Entre 2003 et 2013 le nombre de sujets consacrés chaque année aux faits divers dans les journaux télévisés des grandes chaînes généralistes a connu une augmentation de 73 %.
  • Une étude de l’Arcom montre que les sujets sur la violence représentent 30 % des JT en 2022, souvent traités de façon sensationnaliste.
  • L’effet « loupe » : en 2023, de terribles cas comme l’attaque de Annecy (juin 2023) ou de Romans-sur-Isère (avril 2020) ont été couverts en boucle, créant une impression d’insécurité croissante.
  • Le sociologue Laurent Mucchielli souligne que cette focalisation médiatique alimente une « peur déconnectée des risques réels ».

Résultat : la perception du danger est amplifiée, même si les statistiques globales sur les homicides (environ 1 000 par an en France) restent stables depuis 20 ans.

Des leçons à tirer des autres domaines

Le contraste est frappant avec d'autres domaines où notre pays a développé des statistiques précises.

Par exemple, dans le secteur environnemental, on dispose de données détaillées sur la présence de fluor dans les eaux souterraines, avec environ 800 sites identifiés et analysés.

Cette capacité, à collecter des données dans certains domaines rend d'autant plus notable l'absence de statistiques concernant un phénomène aux implications sociales aussi importantes que la violence.

Quand l'événement devient le récit des réseaux sociaux

La couverture médiatique des attaques au couteau s'inscrit dans un processus plus large de mise en récit des événements sociaux.

Comme l'a montré l'analyse du mouvement Nuit Debout, les médias traditionnels ont tendance à contextualiser les mouvements sociaux en les rapprochant de l'actualité sociopolitique nationale, tandis que les réseaux sociaux se focalisent davantage sur des polémiques spécifiques.

Dans le cas de ce « phénomène », cette dynamique pourrait conduire à une amplification de certains événements, particulièrement ceux qui s'inscrivent dans des narratifs préexistants comme celui de « l'intifada des couteaux », expression utilisée dans certains contextes pour désigner des attaques motivées politiquement.

L'absence de volonté politique : un angle mort institutionnel

La troisième dimension explicative de notre méconnaissance réside dans ce qui apparaît comme une absence de volonté politique d'aborder frontalement cette problématique.

L'absence de chiffres officiels peut être interprétée comme un choix politique délibéré.

Ce type de silence institutionnel rappelle ce que certains chercheurs ont qualifié de « discours de dénégation » concernant les discriminations ethniques en France.

De même que certaines questions liées à la diversité et au vivre-ensemble sont parfois passées sous silence dans les médias français, cette question spécifique pourrait souffrir d'un déficit d'attention institutionnelle et politique.

Les risques d'une approche non-scientifique

L'histoire nous enseigne les dangers d'une approche non-scientifique des phénomènes sociaux.

Au XIXe siècle, Léonce Manouvrier avait développé une critique systématique des excès de l'anthropologie physique qui prétendait établir des hiérarchies entre groupes humains sur des bases pseudo-scientifiques.

De façon similaire, l'absence d'une approche rigoureuse et scientifique risque de laisser le champ libre aux simplifications excessives et aux récupérations idéologiques ou politiques.

Conclusion

L'état actuel de nos connaissances révèle un paradoxe préoccupant : alors que ces événements occupent une place importante dans le débat public et médiatique, ils ne font pas l'objet d'un suivi précis et scientifiquement rigoureux.

Cette situation appelle à une prise de conscience collective. Comme dans d'autres domaines où la France a su développer des approches statistiques et scientifiques précises, il serait souhaitable d'élaborer des outils permettant de mesurer objectivement l'ampleur et les caractéristiques de ces délits.

Une telle démarche permettrait non seulement d'éclairer le débat public, mais aussi de concevoir des politiques de prévention adaptées, basées sur des faits plutôt que sur des perceptions.

En attendant, il est important de garder un regard critique sur les discours médiatiques et politiques concernant ce phénomène, en distinguant soigneusement les faits avérés des interprétations et des récupérations idéologiques.

C'est à seule condition que nous pourrions progresser vers une meilleure compréhension et une gestion plus efficace de cette forme de violence.


Les sanctions judiciaires plus sévères réduisent-elles les crimes au couteau ?

Les sanctions judiciaires plus sévères réduisent-elles les crimes au couteau ? La question de l'efficacité des sanctions judiciaires sévères dans la réduction des crimes au couteau...

Le port de couteaux est-il contagieux chez les adolescents ?

Le port de couteaux est-il contagieux chez les adolescents ? Il reflète des inégalités sociales, des traumatismes individuels ou collectifs, et des rapports de forces asymétriques...