16/03/2025

Port du couteau et défense personnelle : dilemmes de législation

Port du couteau et défense personnelle : dilemmes de législation

Au vu, du fait qu’il soit impossible d’obtenir des recherches et des statistiques fiables sur ce type d’infraction en France, l’unique possibilité est d’explorer ce « phénomène sociologique » dans les pays voisins.  

Cette étude de l'Université de Manchester constitue le deuxième volet d'une série de trois articles consacrés aux crimes au couteau en Angleterre et au Pays de Galles (1).

Elle examine les dilemmes de législation complexe entre le port d'armes, notamment du couteau, les principes de défense personnelle et de légitime défense dans un contexte où la protection des citoyens est supposée être assurée par l'État.

Contexte et statistiques sur la possession du couteau

Les couteaux ou autres instruments tranchants représentaient la cause la plus fréquente d'homicides en Angleterre et au Pays de Galles en 2008/2009, constituant plus d'un tiers des meurtres recensés (1).

Même si le Royaume Unis est en avance, cet article souligne les difficultés liées à la collecte de données cohérentes sur ce phénomène, avec des résultats parfois contradictoires entre perception et réalité, selon les méthodologies employées.

Selon l'enquête OCJS (Offending, Crime and Justice Survey) (2) de 2005, environ 4 % des jeunes interrogés avaient porté un couteau au cours des 12 mois précédents, le pic se situant chez les 16-17 ans (7 %).

Parmi les porteurs de couteaux, 41 % avaient un canif, 29 % un couteau à cran d'arrêt et 10 % un couteau de cuisine.

En termes de fréquence, la majorité déclarait porter un couteau rarement (50 % : « une ou deux fois » dans l'année précédente).

Cependant, d'autres enquêtes comme celle du Youth Justice Board (3), réalisée par MORI en 2008, indiquent des chiffres bien plus élevés : 31 % des jeunes de 11 à 16 ans en éducation conventionnelle et 61 % des jeunes exclus auraient porté un couteau.

Ces disparités illustrent la complexité de la mesure précise de ce phénomène.

Une comparaison internationale de la possession d'armes

Aux États-Unis, la possession d'armes chez les jeunes est significativement plus répandue.

Selon le Youth Risk Behavior Surveillance System (4), 18,5 % des élèves américains de 13 à 17 ans déclaraient avoir porté une arme (couteau, pistolet ou matraque) au moins une fois dans les 30 jours précédant l'enquête (1).

Les motivations pour porter un couteau

Cette étude identifie clairement le dilemme de la défense personnelle comme principale motivation derrière le port de couteaux.

L'enquête OCJS de 2006 indique que 85 % des jeunes porteurs de couteau le font pour se protéger (1).

Cette motivation est confirmée par plusieurs autres études, y compris des recherches qualitatives par focus groups (5).

Un élément particulièrement significatif est que les victimes antérieures de crimes sont plus susceptibles de porter un couteau :

  • 27 % des jeunes ayant été victimes d'un crime déclaraient avoir porté un couteau au moins une ou deux fois par la suite.
  •  contre 20 % des personnes n’ayant pas été victimes d’agression.

Le manque de confiance dans les forces de l’ordre

Les auteurs soulignent que cette recherche d'auto-protection reflète souvent un manque de confiance dans les forces de l’ordre.

Les données du British Crime Survey (6) montrent une augmentation substantielle des personnes répondant que :

  • « la police ne peut rien faire » (passant de 25 % à 36 %).
  • ou que « la police ne serait pas intéressée » (de 13 % à 23 %) comme motifs de ne pas signaler un crime (1).

Évolution législative et débats parlementaires

L'étude présente des extraits des débats parlementaires des années 1950 et 1980 autour de deux législations clé : le Prevention of Crime Act de 1953 (7) et le Criminal Justice Act de 1988 (8).

Ces débats révèlent les tensions fondamentales du dilemme entre le droit traditionnel à la légitime défense et la volonté de l'État de limiter la possession d'armes.

Lors des débats de 1953, certains parlementaires ont tenté d'introduire des amendements pour permettre explicitement la possession d'armes à des fins d'autodéfense, mais le gouvernement s'y est opposé, le ministre de l'Intérieur déclarant :

  • « Le gouvernement ne souhaite pas soutenir la proposition selon laquelle il est juste ou nécessaire pour le citoyen ordinaire de s'armer pour sa légitime défense. La préservation de la paix est la fonction de la police... » (1).

Des tentatives similaires durant les débats des années 1980 ont également échoué, illustrant cette tension persistante dans la société britannique.

Les limites juridiques à l'autodéfense

L'article identifie plusieurs limites importantes imposées par le droit anglais à l'autodéfense avec une arme :

  • La question de l'imminence : la légitime défense est généralement limitée aux situations de danger imminent. Dans l'affaire Evans and Hughes (1972), Lord Widgery précise que les personnes sous une menace constante devraient « se protéger en sollicitant la protection de la police ».   
  • L'approche « tenir bon » : à l'identique de la jurisprudence française, le droit anglais impose généralement une obligation de fuite face à une menace, l'approche « tenir bon » étant strictement limitée au contexte du domicile.

Les dilemmes de la sécurité personnelle

Dans leur conclusion, les auteurs exposent les paradoxes inhérents à la quête de sécurité personnelle.

Une vision bien particulière qui n’engage que leur auteur :

  • « La sécurité peut promettre le réconfort, mais en réalité augmente l'anxiété.
  • Cette quête peut éroder la liberté des autres.
  • Les tentatives d'assurer sa sécurité personnelle peuvent, ultimement, éroder la société civilisée. »

Ils soulignent également les questions fondamentales de punir ceux qui sont moralement répréhensibles et acquitter ceux qui agissent par auto-préservation, tout en cherchant à faire respecter des normes comportementales qui empêchent une société sans loi de fonctionner.

Conclusion

Les auteurs concluent que la véritable tragédie de la recherche de sécurité personnelle par la possession de couteaux est qu'elle crée et reflète à la fois comment nous en sommes venus « à nous percevoir comme une société d'étrangers, sans obligations les uns envers les autres et envers les normes de comportement décent ».

Ils appellent à développer une réflexion plus claire sur la régulation de la quête de sécurité dans la société contemporaine et à confronter une réalité sociologique qui semble dépasser le gradualisme du droit.


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