06/07/2024

D'où vient le chiffre des 120 attaques au couteau en France ?

D'où vient le chiffre des 120 attaques au couteau en France ?

En mai 2020 le collectif Kragma, spécialisé dans les moyens de se défendre contre un couteau et tout types d'armes blanches, était le premier à donner l’alerte sur ce chiffre sans fondement statistiques.

 

C’est le Figaro, le 16/02/2020 qui a diffusé ce chiffre. Cette donnée a été livrée à la population sans précaution, sans réelle certitude et avec un titre plus que discutable : « Plus de 120 agressions à l’arme blanche ont lieu chaque jour en France ». (1)

 

Il s'en est suivi un mélange de termes qui a provoqué et généré une confusion entre « arme blanche » et couteau.

 

Sauf que l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (dissous en 2020) n’a jamais possédé de catégories statistiques spécifiques pour les homicides au couteau.

 

Deux années de matraquage médiatique plus tard, en juillet 2022, TF1 commençait à émettre des doutes sur ce chiffre par l’intermédiaire d’un article écrit par Caroline Quevrain (2).

 

En décembre 2023, ce fut au tour de BFMTV de commencer à s’intéresser aux 120 attaques au couteau en France par jour, tiré du rapport de l’ONDRP. (3)

 

Il suffisait pourtant de lire ce rapport (3). Le résultat est que 77 % des violences subies sur les individus de 14 ans ou plus, entre 2014 et 2017, ont été commises sans armes ! (page 113-SSMI 2017)

Des sources multiples et une méthodologie imparfaite

Ce chiffre d’agression au couteau a été mis en avant à de très nombreuses reprises par des personnalités politiques. Au vu de l'origine, il semble s'appuyer sur des données on ne peut plus sérieuses, mais la méthodologie exacte de son calcul reste obscure et n'a jamais été clairement énoncée.

 

De surcroît, cette donnée n’apparaît jamais telle quelle dans le rapport. Elle provient d’une méthode de calcul comprenant 653 000 personnes victimes chaque année de violence physique entre 2015 et 2017, parmi lesquelles 18 % ont déclaré avoir été violentées avec une arme.

 

Dans ces 18 %, 37 % évoquent une arme blanche. C’est alors que l’on obtient le résultat de 43 489 victimes d’agressions à l’arme blanche par an, soit 119 victimes par jour. 

 

En réponse à cette question, la secrétaire d’État Sabrina Agresti-Roubache avait précisé en décembre 2023 : « Aucune donnée récente n’est connue sur cette tendance. Les statistiques institutionnelles, agrégées et analysées par les services de sécurité intérieure, ne recensent pas, en tant que telles, les attaques à l’arme blanche. »

 

Elle avait totalement raison. Il suffit de lire le rapport. Ce que nombre de personnes n’a jamais pris le temps de faire.

Qu'est ce qu'une arme blanche : un travail de recherche approfondi ?

Le terme « arme blanche » est utilisé de façon totalement erronée. Le Code de la Sécurité, Intérieur Article R311-2, défini ainsi les armes blanches selon la définition suivante : 

 

« Au regard de la réglementation française, l'expression « arme blanche » désigne toute arme dont l'action perforante, tranchante ou brisante n'est due qu'à la force humaine ou à un mécanisme auquel elle a été transmise, à l'exclusion d'une explosion. »

 

Des exemples d'armes blanches : les couteaux, les matraques, ... » (4) « et ceci qu'elle soit constituée de bois, de pierre, d'os, d’arête, de métal ou de matériaux composites ».

Une arme blanche n’est pas nécessairement un couteau

  • Donc, un poing américain, une batte de base-ball sont comptabilisés dans les homicides par armes blanches ;
  • Donc, une arme blanche n’est pas spécifiquement et statistiquement un couteau ;
  • Donc, les homicides perpétrés avec un couteau sont mélangés aux homicides perpétrés avec un objet contondant. 

La nécessité d'une analyse plus fine et d'une communication plus claire

La principale critique réside dans l'ancienneté de la donnée utilisée. En effet, la statistique des 37 % s'appuie sur des faits datant de plusieurs années, ne reflétant potentiellement pas l'évolution récente du phénomène des agressions à coups de couteau mortel.

 

L'enquête de 2020, plus récente, montre une baisse significative du taux d'agressions à l'arme blanche de 7 %, ce qui met en doute la fiabilité de la statistique initiale.

Un chiffre alarmant uniquement en apparence

La note publiée par l’ONDRP s’appuie sur un échantillon de 16 000 personnes interrogées dans le cadre des enquêtes  « Cadre de vie et sécurité » (CVS) menées par l’Insee, l’ONDRP et le Service statistique ministérielle de la sécurité intérieure (SSMSI).

 

Il n’est donc pas question de procédures judiciaires ou de plaintes, par ailleurs pas assez précis pour prendre en compte la notion de couteau, mais d'une enquête publique.

La faiblesse de l’enquête de victimation

Le troisième point concerne la faiblesse de l’échantillon des personnes interrogées, dans la méthode utilisée.

 

L’ONDRP, l’INHESJ, INTERSTATS (SSMI) et l’INSEE, qui travaillaient en commun avec rigueur et déontologie, l’écrivent en toute lettre :

 

« Les nombres et les taux extraits de l’enquête sont des estimations, et fournissent ainsi des ordres de grandeur qui ne doivent aucunement être considérés comme des données exactes. (3) »

Nuances et complexité d’un chiffre qui veut tout et rien dire

Il est également indispensable de pointer du doigt la proportion questionnable du chiffre, puisque 120 victimes d’attaques à coups de couteau en France est équivalentes en réalité à 0,00017 % des Français victimes de coups de couteau.


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