05/07/2023
Cette violence n’existe pas. Les sociologues s'efforcent d'expliquer depuis de nombreuses années, que la « violence gratuite » est un argument fallacieux et absurde, dont les fondements ne reposent sur aucune base sociologique fiable.
Dans la mesure où personne n’agresse quelqu'un d'autre sans aucun motif aussi futile ou dérisoire soit-il. « La violence », c’est ce qui n’est « pas bien ».
Mais sur le plan empirique, c’est surtout un vaste fourre-tout dans lequel on mélange des choses qui n’ont rien à voir, de l’insulte à l’acte terroriste, en passant par les émeutes, les bagarres de jeunes, la dynamique de violence envers les femmes, les viols et agressions sexuelles, les échanges de coups entre voisins, les règlements de compte meurtriers entre malfaiteurs, etc. » (1)
De surcroît, « La catégorie « violences gratuites » n’existe pas en droit et ne figure dans aucune publication sociologique sérieuse », Sebastian Roché (sociologue, politologue français spécialisé en criminologie, docteur en sciences politiques et directeur de recherche au CNRS).
Les travaux de Laurent Mucchielli (Sociologue, directeur de recherche au CNRS) dans les archives de la police française et judiciaires sur les coups et blessures volontaires suivis d’ITT, ont souligné trois résultats significatifs.
Le premier est que, si les vols violents perpétrés par des auteurs inconnus, non élucidés par la police ou la gendarmerie et non pris en compte dans cette étude, sont mis de côté, la violence s’exerce essentiellement dans le cadre de l’interconnaissance et que son premier lieu de perpétration est la sphère familiale, en particulier dans la relation conjugale.
Le second est la diversité des lieux et des protagonistes de ces violences constaté dans les relations de voisinage, dans le cadre des opérations de contrôle effectuées par des agents de sécurité (publique ou privée), dans les altercations entre automobilistes, et même sur les lieux de travail.
Le troisième est la forte corrélation existant entre les comportements violents et les conditions de vie socio-économique, cette corrélation ne s’atténuant que dans le cas des violences conjugales (1).
Selon l'approche béckérienne de la transgression des lois (2), si les délinquants sont rationnels, ils tiennent compte des coûts, des chois rationnels et des avantages associés avant de décider de commettre un acte de violence.
Habituellement, les coûts incluent les chances de se faire repérer et la punition, combinée à la valeur de la pénalité attendue.
Contre ceux-ci, seraient pesés les avantages : la possibilité d'obtenir des gains matériels ou psychiques et de la valeur des gains attendus. Ce « délinquant rationnel » ou « économique » (2) implique que les changements dans la probabilité de condamnation ou le montant de la peine modifient l'incidence de la criminalité.
Moins remarqué, cela indique également que les attitudes des individus à l'égard du risque influenceront la décision de transgression, car le crime est un type de pari. Différents appétits de risque (et préférences temporelles, lorsque la punition est retardée), devraient en partie expliquer la répartition de la délinquance dans la population.
La théorie de l'activité de routine criminologique examine de la même manière la criminalité du point de vue du délinquant raisonnant (3).
Elle postule qu'un crime ne sera commis que si un délinquant probable croit qu'une victime ou une cible est appropriée et qu'un « tuteur » (le regard d’une caméra de vidéosurveillance par exemple) est absent. L'évaluation réelle ou potentielle du délinquant détermine si un crime sera commis.
Il existe de nombreuses preuves internationales qui confortent les grandes lignes de cette approche « rationnelle ». Ainsi, la perspective de peines de prison plus lourdes sur les récidivistes italiens a réduit la probabilité de récidive (4).
Les cambrioleurs américains ciblent les maisons où ils trouveront plus probablement des biens de grandes valeurs et avec des chances de détection plus faibles (5).
Comprendre la décision d'e perpétrer un acte de violence envers une personne devrait également suggérer comment la dissuasion et d'autres interventions peuvent réduire ce crime.
Il s’avère qu’en Allemagne, la dissuasion a été jugée inefficace pour les crimes violents (6). Une possibilité de cet échec serait que les perceptions divergent davantage de la réalité en cas d'infraction violente.
Les progrès récents des sciences du comportement suggèrent qu'en pratique, les individus semblent ignorer les événements futurs à des taux qui peuvent les conduire à agir de manière incohérente ou à montrer un manque de maîtrise de soi.
Ils peuvent également faire preuve d'un optimisme injustifié et faire des choix différents dans des circonstances similaires, simplement en raison de la façon dont les opportunités ont été présentées (7).
Le modèle de la délinquance rationnelle peut également nécessiter une modification si les perceptions des délinquants sont influencées par des drogues ou de l'alcool.
Les données hospitalières et celles des enquêtes de victimisation confirment un lien entre de grandes catégories de violence et le prix de l'alcool aux États-Unis et au Royaume-Uni (8).
La prise d'alcool et de drogue dans les cas d’agression peut également contrarier cette inexistence de la violence gratuite. L’alcool est associé à des crimes violents et à la violence conjugale dans de nombreux pays (9).
De multiples facteurs étiologiques sont liés à la consommation addictive d'alcool et à la violence, y compris les comorbidités psychiatriques des auteurs telles que les troubles de l'humeur et les troubles de la personnalité.
L'agression est le précurseur de la violence et les personnes sujettes à des comportements violents sont plus susceptibles de commettre des crimes impulsifs, en particulier sous l'influence de l'alcool.
Les résultats d'études sur le cerveau indiquent que la consommation d'alcool à long terme induit des changements morphologiques dans les régions du cerveau impliquées dans la maîtrise de soi, la prise de décision et le traitement émotionnel.
Dans cette optique, les anomalies dopaminergiques et sérotoninergiques inhérentes observées chez les individus agressifs augmentent leur susceptibilité à commettre des crimes violents lorsque l'alcool est présent dans leur système.
L’usage de drogue peut également expliquer le passage à l’acte. Dans le cadre d’une méta-analyse de 18 études publiées entre 1990 et 2019, rapportant les données de 591 411 personnes souffrant de troubles liés à l'usage de drogues, Shaoling Zhong et ses collègues (10) ont étudié les rapports de cotes du risque de violence dans différentes catégories de troubles liés à l'usage de drogues par rapport à ceux qui n'en ont pas.
Cette recherche a synthétisé les preuves sur les associations entre les catégories individuelles de troubles liés à l'usage de drogues et les résultats violents.
Les résultats suggèrent que toutes les catégories de troubles liés à l'usage de drogues présentent un risque élevé de violence, et que la conception de l'étude et le type de résultat violent expliquent en partie la variation des estimations du risque entre les études.
La violence gratuite est quotidienne dans les médias. Cette rhétorique anxiogène sans fondement demeure et demeurera omniprésente dans les médias pendant encore longtemps.
Cette expression est insidieusement entrée dans le langage commun des journalistes, hommes et femmes politiques, éditorialistes...
Utilisation excessive, à dessein ou pas, elle s’explique par son efficacité : rien n'est plus effrayant qu'une violence qui surviendrait sans raison et justifierait une rhétorique sécuritaire.
La violence n'aurait pas de raison d'être, il n'est surtout pas utile de l'étudier, il ne faut obligatoirement et commodément que la blâmer. Les conséquences sociologiques seront effroyables. La dénonciation remplace la recherche et dissimule une réalité sociale.
Pourtant, concernant la « violence gratuite », et après une étude d’une série de procédures policières réalisées à Paris en 2006, le conseil d'orientation de l'Observatoire National de la Délinquance a publié en mai 2008 les résultats suivants : une
De ce fait, en fin de publication, il est possible de lire : « On appellera « violence gratuite » la violence qui n'a que pour seul but [sic] la recherche de la violence (violence pour la violence).
Tous les actes qui ont un motif ou une explication, même s'ils peuvent sembler dérisoires par rapport aux violences commises, ne peuvent pas être qualifiés de gratuits ». (page 21, note de bas de page n°18.)
Quel liens pourrait il exister entre les effets du stress sur la prise de décision et une bagarre de rue ? S’entraîner durement et régulièrement au combat est... Bagarre de rue : prise de décision sous stress
Les débats et la médiatisation sur l’insécurité font rage en France. Pourtant, aucune donnée statistique n’indique que le sentiment d’insécurité... L'insécurité en France sensible à la médiatisation
Sources :
(1) « Les agressions comparées aux accidents de la vie quotidienne : un risque mineur »
Laurent MUCCHIELLI, Emilie RAQUET. N°7– Novembre 2014
Aspects de la violence dans les relations sociales. Les coups et blessures volontaires suivis d’ITT jugés
par un tribunal correctionnel de la région parisienne en l’an 2000.
https://www.cesdip.fr/IMG/pdf/QP_01_2006.pdf
L'insécurité, miroir de nos inquiétudes contemporaines (Nouvelles fondations, 2006, 2)
Laurent Muchielli, Véronique Legoaziou
(2) Becker, 1968, Ehrlich, 1973
http://ecineq.org/ecineq_paris19/papers_EcineqPSE/paper_122.pdf
Gary Becker et la théorie économique du crime
https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2014-1-page-209.htm
(3) Social Change and Crime Rate Trends: A Routine Activity Approach
Lawrence E. Cohen and Marcus Felson
https://www.jstor.org/stable/2094589
(4) Prison Conditions and Recidivism
Drago, Galbiati et Vertova, 2009
(5) Target search of burglars: A revised economic model
Shachmurove, Rengert et Hakim, 2001
https://link.springer.com/article/10.1007/PL00013617
(6) Socioeconomic and demographic factors of crime in Germany: Evidence from panel data of the German states
Entorf & Winker, 2008
https://ideas.repec.org/a/eee/irlaec/v20y2000i1p75-106.html
(7) Della Vigna, 2009, Kahneman et Tversky, 1979, Loewenstein et Pralec, 1992
(8) Markowitz, 2005, Matthews et al., 2006
(9) Alcohol, Aggression, and Violence: From Public Health to Neuroscience
Kajol V. Sontate, Mohammad Rahim Kamaluddin, Isa Naina Mohamed, Rashidi Mohamed Pakri Mohamed, Mohd. Farooq Shaikh, Haziq Kamal, and Jaya Kumar
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8729263/
(10) Drug Use Disorders and Violence: Associations With Individual Drug Categories
Shaoling Zhong, Rongqin Yu, and Seena Fazel