07/02/2024

Pourquoi personne n'intervient lors d’une agression ?

Pourquoi personne n'intervient lors d’une agression

Lors d’une agression dans les transports en commun, ou autres, voici pourquoi personne n'intervient.

 

Jusqu’à présent, ces comportements étaient expliqués par « l'effet spectateur », tel que défini par John Darley et Bibb Latane en 1968 (1). Il s’agissait d’une théorie psychosociale décrite comme commune à l’homo-sapiens.

 

Un phénomène durant lequel la présence de personnes, c'est-à-dire les spectateurs de l’événement, influençaient la probabilité d'une personne d'aider une autre personne dans une situation d'urgence.

 

Plus précisément, John Darley et Bibb Latane avançaient l’hypothèse qu'à mesure que le nombre de personnes présentes dans une situation d'urgence augmentait, moins il était probable qu'une seule personne aide une personne ayant besoin d’aide.

 

Origine de la théorie de l'effet spectateur

Ils ont été les premiers psychologues à étudier et élaborer la théorie du dit « effet spectateur ». Cette théorie se situait dans le cadre original de la non-intervention de spectateur lors de l’agression, du viol et du meurtre de Kitty Genovese en 1964, au sujet duquel les médias états-uniens ont rapporté que 38 passants ont regardé la scène pendant une demi-heure sans apporter leur aide. Pourtant certains travaux récents remettent en question ce récit (4).

 

 

Les sciences sociales suggèrent depuis longtemps de nombreuses théories invérifiables, entre autres que le fait de vivre au milieu d’une masse d’étrangers en zone urbaine (2) atténuerait notre sensibilité aux besoins des autres, donnant ainsi naissance à des « normes de non-implication » (3) ou « d’apathie ».

Non-implication lors d’une agression ?

Des décennies de recherche en sciences sociales plus tard, d’autres chercheurs, avec d’autres méthodes se sont intéressées à la question de cette « non-implication » des spectateurs et du manque d’intervention en nombre lors d’événements publics d’urgence ou d’agressivité réactive. Avec l’hypothèse de « l’effet spectateur » comme épicentre de ces recherches.

 

La théorie de « l’effet spectateur » se révèle être un exemple parfait de la manière dont une théorie scientifique peut être acceptée par le grand public et les médias de grand chemin en tant que « concept profane absolu de vérité », expliquant toutes les situations de cette nature.

 

Pourtant, sans une interprétation minutieuse des résultats, la probabilité individuelle d’intervention et la probabilité globale qu’au moins une personne intervienne se mélangent et peuvent fournir une réponse aisément trompeuse à la question clé d’une réponse comportementale vérifiable.

 

En résonance avec cela, des milliers de personnes ont pourtant en mémoire des reportages de médias télévisuels dans lesquels des passants spectateurs n'ont pas apporté leur aide à une victime d'agression dans un lieu publique. 

 

Sûrement aveuglé par cette agression tragique et la pression populaire qui s’en est suivi, John Darley et Bibb Latane ont entrepris, à l’époque, d'expliquer pourquoi les personnes présentes ne sont pas intervenus.

Les différents scénarios d’urgence

Dans une série d’expériences simulant un certain nombre de scénarios d’urgence différents, ces chercheurs ont découvert que la présence supplémentaire de spectateurs provoquait une diffusion des responsabilités qui limitait les motivations d’intervention individuelle (1).

 

Cette théorie bien connue a été reproduite de nombreuses fois sous différents scénarios et apparaît dans la majorité des manuels d'introduction à la psychologie (5). Le fait de savoir que la probabilité qu’un individu intervienne diminuerait en présence d’autrui ne permet cependant pas d’établir la probabilité globale qu’au moins, une personne aidera la victime de l’agression.

 

Du point de vue de la victime, cela reste pourtant la question la plus importante (10) : « Vais-je recevoir de l'aide en cas de besoin ? » (8). Il est donc important de reconnaître une distinction clé entre la probabilité d’une intervention individuelle et la probabilité globale qu’au moins une seule personne apporte son aide.

 

Pourtant, comparé au grand nombre des différents scénarios d’urgence étudiés qui examinent l’intervention du point de vue de l’observateur individuel, il y en a étrangement peu sur la probabilité d’intervention situationnelle, c’est-à-dire la probabilité qu’au moins un spectateur lors de l’événement d’urgence intervienne.

La vidéosurveillance éthologique comme moyen d’étude

La vidéosurveillance et les séquences vidéo sont de plus en plus reconnues comme étant la source de données la plus complète comme moyen d’étude éthologique afin de quantifier les interactions humaines réelles (6, 7).

 

La récente propagation de la vidéosurveillance offre la possibilité d'observer éthologiquement les situations d'urgence réelles telles qu'elles se produisent dans leur contexte naturaliste, sans interaction perturbatrice 

Les taux d’intervention des spectateurs en vidéosurveillance

Par conséquent, dans la présente étude (8), Philpot, R., Liebst, L. S., Levine, M., Bernasco, W., & Lindegaard, M. R. ont examiné les taux d’intervention des spectateurs lors de 219 litiges publics agressifs naturels (l’échantillon brut de départ contenait 1 225 vidéos.), saisi par des caméras de vidéosurveillance dans trois contextes nationaux différents :

  • Le Cap (Afrique du Sud) ;
  • Amsterdam (Pays-Bas) ;
  • Lancaster (Royaume-Uni).

Cette cohorte, qui compose le plus grand et le premier corpus vidéo transnationale de conflits publics rassemblés, offre une opportunité exclusive d'observer à quel point l'intervention de spectateurs dans une agression publique réelle est en réalité courante.

 

L'objectif de la présente étude était :

  • d’évaluer si la probabilité d'intervention situationnelle augmentait avec la présence supplémentaire de spectateurs ;
  • de déterminer le pourcentage de conflits réels capturés par des caméras publiques où au moins un spectateur intervenait ;
  • d’examiner si cette probabilité d'intervention variait selon les contextes nationaux, qui diffèrent dans les perceptions du public en matière de sécurité.

L’objectif était donc de répondre à la question régulièrement négligée de savoir si l’augmentation du nombre de spectateurs compensait la diminution de la volonté d’aider de chacun d’eux. Une question soulevée par J. Darley et B. Latane mais souvent occultée dans la littérature expérimentale postérieure.

Les données de vidéosurveillance dans l'espace public

Les données de cette étude comprenaient des images de vidéosurveillance de conflits réels dans l'espace public capturées par des caméras de vidéosurveillance dans des zones urbaines.

 

Toutes les caméras publiques étaient situées dans des zones de divertissement intérieures, des quartiers centraux d’affaires des villes et capturaient généralement les rues publiques avec des devantures de magasins et des débits de boissons, des parcs, des places, des allées piétonnes et des extérieurs de gares.

 

Toutes les données ont été enregistrées par des opérateurs employés par les municipalités respectives, qui, selon des consignes identiques, ont été chargés d'enregistrer tous les litiges d'agression dans l'espace public contenant tout niveau de conflit, depuis les désaccords animés les plus légers jusqu'aux violences physiques.

L’effet spectateur n’existe pas ?

Contrairement aux affirmations de J. Darley et B. Latane et leur théorie psychosociale de « l’effet spectateur », de manière descriptive, il a été constaté qu'au moins un spectateur est intervenu dans 90,9 % des situations, avec une moyenne de 3,76 intervenants par vidéo.

Les limites discutables du taux d’intervention

Cette étude présente, comme toutes, des limites qui méritent d’être discutées et sont discutables. Vu le taux d'intervention très élevé signalé et également par rapport à des recherches antérieures (9), il faut prendre en compte un certain nombre de facteurs qui ont pu augmenter ce chiffre d'intervention. Pour plus d’information voir (8).


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Sources :

 

(1) Bystander Effect In Psychology

https://www.simplypsychology.org/bystander-effect.html

(2) The experience of living in cities. Milgram, 1970

https://psycnet.apa.org/record/1971-26649-001

(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Stigmate_(Erving_Goffman)

(4) The Kitty Genovese murder and the social psychology of helping: the parable of the 38 witnesses

Rachel Manning, Mark Levine, Alan Collins

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17874896/

(5) Education or indoctrination? The accuracy of introductory psychology textbooks in covering controversial topics and urban legends about psychology.

https://psycnet.apa.org/record/2018-37444-001

(6) Practical Solutions for Sharing Data and Materials From Psychological Research

https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/2515245917746500

Video can make behavioural science more reproducible

Gilmore & Adolph, 2017

https://www.nature.com/articles/s41562-017-0128

(7) Lessons Learned from Crime Caught on Camera

Marie Rosenkrantz Lindegaard, Wim Bernasco

https://research.vu.nl/en/publications/lessons-learned-from-crime-caught-on-camera

(8) Would I be helped ? Cross-national CCTV footage shows that intervention is the norm in public conflicts

Richard Philpot 1, Lasse Suonperä Liebst 2, Mark Levine 1, Wim Bernasco 3, Marie Rosenkrantz Lindegaard 3

https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2Famp0000469

(9) Situational Factors in Disputes Leading to Criminal Violence

Richard Felson. Pennsylvania State University. Henry J. Steadman. Policy Research Associates, Inc.

https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1745-9125.1983.tb00251.x

(10) Ten years of research on group size and helping.

Latané et Nida, 1981

https://psycnet.apa.org/record/1981-12743-001