06/02/2022
Vidéosurveillance : inefficace, coûteux, liberticide et des résultats très faibles ? La France semble découvrir avec stupéfaction que la vidéosurveillance peine à démontrer son efficacité. Voir totalement l’inverse.
Une étude de 2021 réalisée par Guillaume Gormand (1), chercheur au Centre d’études et de recherche sur la diplomatie, l’administration publique et le politique pour le Centre de recherche de l’École des officiers de la gendarmerie (CREOGN) de Melun, démontre clairement l’inefficacité des systèmes de vidéosurveillance déployés sur la voie publique.
L’étude a pris en compte différents types de délits, dont les violences, vols liés aux véhicules, cambriolages et infractions à la législation sur les stupéfiants… Guillaume Gormand a étudié les données récoltées entre 2017 et 2020 provenant de quatre territoires municipaux de la région grenobloise « constituant un ensemble hétérogène de réseaux et d’usages de vidéoprotection » (2).
Cette méthode a été doublée par des séries d’entretiens et une comparaison entre certaines zones concernées, avant et après l’installation des systèmes de vidéosurveillance. En ne conservant que les enquêtes élucidées, l’étude révèle que 5,87 % ont bénéficié d’une contribution vidéo, soit environ 1 sur 20.
Soit, les résultats varient en fonction des infractions : 7,5 % d’indices trouvés dans des affaires d’atteintes aux véhicules et 5,7 % dans des affaires de violences. Mais, « en fin de compte, la découverte d’éléments probants, peu importe la thématique considérée (…) s’avère faible ». M. Gormand (2). Sur 1 939 enquêtes, seules, 22 ont donc été élucidées grâce à la vidéosurveillance. Sois 1,13 % des enquêtes.
En fait, il n’y a rien de surprenant dans le résultat de cette étude. Malgré la présence d’environ 346 000 caméras de vidéosurveillance en Grande-Bretagne en 2006, le rapport du « Home Office » (ministère intérieur britannique), écrit par Martin Gill et Angela Spriggs, concluait déjà à l’inefficacité des dispositifs de vidéosurveillance.
Il corrobore ainsi les avis des criminologues et celui de Jason Ditton (1994) (13) sur cette question. Aucune corrélation avec le taux d’élucidation des délits.
Il y a des exceptions, bien sûr, et c'est ce qui attire toujours les médias. Cette inefficacité a été démontrée à maintes reprises depuis bientôt 30 ans : par l’étude approfondie pour le Home Office en 2005, par plusieurs études aux États-Unis, et encore avec les données annoncées par New Scotland Yard. (2).
Pour certains, il est réconfortant d'imaginer une police vigilante surveillant chaque caméra, mais la vérité est totalement différente.
La plupart des images de vidéosurveillance ne sont visionnées que bien après qu'un crime ou un délit soit commis. Lorsqu'il est examiné, il est très courant que le visionnage ne permette pas d'identifier le/les suspects. L'éclairage est mauvais, les images sont granuleuses, et les criminels ont tendance à étrangement ne pas regarder l'objectif.
Les meilleurs systèmes de vidéosurveillance peuvent encore être contrecarrés par de simples lunettes de soleil ou une capuche. Même lorsqu'ils permettent une identification rapide, les forces de l’ordre sont souvent capable d'identifier les suspects sans les images de vidéosurveillance.
En 2017, le rapport officiel du Viido (Visual Images, Identifications and Detections Office), un service de New Scotland Yard, admet que les millions de livres sterling engloutis dans ces caméras n’ont pas apporté grand-chose. Ainsi, seuls 3% des vols dans les rues de Londres ont été élucidés grâce à elles. (3,4)
Pour reprendre les termes de Mike Neville de 2008, responsable des réseaux de vidéosurveillances de la police métropolitaine de Londres (une caméra pour 14 habitants) : « En termes de lutte contre la délinquance, la vidéosurveillance est en effet un véritable fiasco » (4,5).
Selon Mike Neville, responsable du bureau des images auprès de Scotland Yard, confirme également que les images en provenance des 65 000 caméras londoniennes n’auraient permis de n’élucider que 3 % des délits. De ce fait, ne conviendrait-il pas mieux d’investir dans l’éclairage public ? Ce même rapport (Home Office) montre que moins de 5 % des incidents ont débouché sur une arrestation.
La mise en application sur le territoire national Français de la vidéosurveillance a été opérer à dose homéopathique depuis 1990 et formate l’acceptation progressive des esprits. Elle entraîne des non-réactions et de la passivité vis-à-vis de ce système panoptique (7) qui ne dit pas son nom. Le contrôle de l’espace public par la vidéosurveillance semble définitivement entré dans les mœurs :
D’autre part, la vidéosurveillance est censée résoudre un ensemble de maux de société aussi vaste qu’hétéroclite. Sois 70 délits sur les 107 que recense l’état 4001 (7). Le fichier qui recense chaque année en France tous les faits recensés par catégories : vols, violences à la personne, dégradations, trafic de drogue, terrorisme...
Autant de délits qui ne sont commis ni par les mêmes personnes, ni pour les mêmes raisons, ni dans les mêmes circonstances et qui donc augurerait pour chacun une réponse policière spécifique. Quoi qu’il en soit, les maux que doit défier la vidéosurveillance relève lui aussi de ce fait, de la fiction. Non pas que la délinquance n’a pas d’existence, mais que l’objet même du regard de celle-ci est démesurément indéfini pour être identifiable.
Les rapports successifs internationaux (3,5) mettent également tous en avant en évidence la faiblesse de la formation des opérateurs, de leur penchant humain au voyeurisme à s’attarder sur les images où paraissent des femmes. Ils mettent en lumière leur incompétence à reconnaître des comportements et attitudes réellement dangereuses, du fait de leurs préjugés qui concentrent leur attention sur les jeunes de sexe masculin.
Ils évoquent encore le caractère répétitif et ennuyeux de ce type d’emploi. Comment être efficace quand il n’est pas rare, voir courant, que chaque opérateur soit chargé de visionner les images d’une vingtaine de caméras en même temps.
Une solution « tout en un » hors de prix et médiocre techniquement. Vendue et contée auprès des responsables politiques comme la solution « tout en un » aux problèmes de délinquance, la vidéosurveillance semble tenir davantage de la croyance à une fable dystopique qu’à une réalité contemporaine.
Champ de vision bouché par les arbres et le mobilier urbain, définition trop sombre ou trop claire lorsqu’elles sont filmées de nuit, qualité trop faible, les images sont en grande partie inexploitables. Le coût d'une installation de vidéosurveillance est difficilement chiffrable tant il est dépendant de nombreux critères (types des caméras, travaux pour la pose des câbles...).
Exemple : La commune de Nouilly (Moselle), 716 habitants en 2019, envisage d'investir 39 382 € HT pour six caméras. (9) 1,3 millions d'euros de coûts annuels, sans compter la question des locaux pour la ville de St Étienne en 2001. (10)
Quoi qu'il en soit, au vu des bénéfices réels pour la sécurité du citoyen, l'investissement reste extrêmement lourd à l'échelle d'une commune. C’est là qu’apparaît le FIPD (11). Le FIDP est devenu l’outil de l’État pour lui permettre essentiellement de financer des installations de vidéosurveillance par les collectivités. Depuis 2008, la part des fonds attribués à la vidéosurveillance, c’est considérablement intensifié.
En 2010, sur les 39 millions d’euros du FIDP, 30 millions d’euros ont été attribués à l’installation de système de vidéosurveillance. (10) Une circulaire du 4 mai 2007 encourage les municipalités à « mettre en œuvre des techniques de prévention des malveillances, notamment la vidéosurveillance, dans les endroits les plus exposés aux risques ». Le projet semble très bien fonctionner puisqu'en 2010, ce sont 738 projets de vidéosurveillance qui ont été financés par le FIPD.
Même si la dissuasion et la détection sont des procédés plus contradictoires que complémentaires. Ni l’un ni l’autre de ces deux mécanismes traduisent immédiatement une baisse significative de la délinquance. Son efficacité se quantifie d’ailleurs soit par une baisse du chiffre des faits constatés (dissuasion), soit par une augmentation du même chiffre.
Autrement dit, il s’agit d’une « technologie infaillible ». Banditisme financier, non-respect des normes sanitaires, infractions au code du travail, violences domestiques, détournements de fonds…
Bref, au vu des sommes exorbitantes englouties, la majorité des faits de délinquance ne sont nullement influés par la vidéosurveillance. « Fantasme panoptique partagé par les partisans de la vidéosurveillance comme par ses détracteurs. » (12)
La vidéosurveillance ressemble plus à un placebo destiné à guérir les angoisses de l’insécurité sociale, qu'à un moyen efficient de lutte contre la criminalité. Chercher à tout regarder est la meilleure façon de ne rien voir.
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Sources :
(1) Guillaume Gormand, chercheur au Centre d’études et de recherche sur la diplomatie, l’administration publique et le politique pour le Centre de recherche de l’Ecole des officiers de la gendarmerie (CREOGN). Melun. Soutenance de Monsieur Gormand Guillaume
https://cerdap2.univ-grenoble-alpes.fr/actualites/soutenance-monsieur-gormand-guillaume
(2) Une étude commandée par les gendarmes montre la relative inefficacité de la vidéosurveillance
(3) Rapport officiel du Viido (Visual Images, Identifications and Detections Office)
(4) Une technologie en plein essor, à l’épreuve de l’évaluation
(5) CCTV doesn't keep us safe, yet the cameras are everywhere
https://www.theguardian.com/technology/2008/jun/26/politics.ukcrime
« Assessing the impact of CCTV », M. Gill, & A. Spriggs, (PDF), Home Office Research Study, n° 292, Londres, 2005. CCTV (closed-circuit television).
(6) L'état 4001 est le fichier qui recense chaque année tous les faits recensés par les services de police et de gendarmerie. Il est la principale source de données statistiques utilisée pour mesurer les délinquances.
https://www.vie-publique.fr/rapport/33147-mesure-statistique-des-delinquances
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Panoptique
(8) Ifop, 83% des Français favorables à la vidéosurveillance, selon un sondage
(9) Six caméras de vidéo-surveillance bientôt installées dans la commune
(10) Vidéosurveillance : un coût très important pour des résultats très faibles https://blogs.mediapart.fr/laurent-mucchielli/blog/060510/videosurveillance-un-cout-tres-important-pour-des-resultats-tres-faibles
(11) FIPD
https://www.cipdr.gouv.fr/le-cipdr/le-fipd/
(12) La vidéosurveillance, un moyen de lutte contre la délinquance ? Tanguy Le Goff. Le Mans, le 25 mars 2010
Le rapport qui prouve l'inefficacité de la vidéosurveillance
http://boux.e-monsite.com/pages/content/archives/le-rapport-qui-prouve-l-inefficacite-de-la-videosurveillance.html
(13) Jason Ditton
http://1in12.com/publications/cctv/ditton.htm
Sources complémentaires
- Sous l’œil myope des caméras
https://www.monde-diplomatique.fr/2008/09/LE_BLANC/16294
- En réponse à l’article de Noé Le Blanc, « Sous l’œil myope des caméras » (Le Monde diplomatique, septembre 2008).
http://i2d.toile-libre.org/PDF/2008/i2d_reponse_le_blanc.pdf
- Le bel avenir de la vidéosurveillance de voie publique. Noé le Blanc